Yohav Oremiatzki écrit sur Thiaroye 44 de Marie Thomas-Penette et François-Xavier Destors dans Télérama

Enquête étonnante sur le massacre de tirailleurs sénégalais par l'armée française

Dans “Thiaroye 44”, trois jeunes artistes et activistes sénégalais mènent un travail mémoriel et créatif autour du “massacre colonial” de tirailleurs sénégalais, le 1er décembre 1944, près de Dakar.

Novembre 1944. Près de mille trois cents tirailleurs sénégalais, qui avaient combattu sous le drapeau tricolore avant d’être faits prisonniers au moment de la débâcle française de 1940, sont rapatriés de métropole et cantonnés dans le camp militaire de Thiaroye, en périphérie de Dakar. Pour protester contre le non-versement de leur arriéré de solde, ils manifestent. La répression est sanglante. Le 1er décembre 1944, sur ordre du haut commandement, des gendarmes français « matent » ce que l’armée qualifiera longtemps de « mutinerie ».

Malgré la volonté du président François Hollande de « réparer cette injustice », cet événement reste un objet de controverse historiographique. Les réalisateurs Marie Thomas-Penette et François-Xavier Destors en exposent les zones d’ombre dans un remarquable film diffusé sur France 24, à travers les regards affûtés de trois artistes sénégalais en devenir.

Rage de comprendre

Dans l’introduction, la dramaturge Aïcha Euzet, autrice d’une pièce de théâtre sur Thiaroye, accompagne le comédien et scénariste Babacar Dioh sur une aire de dépôt d’ordures. Marchent-ils sur un charnier ? Puis le film s’attarde sur la rappeuse et activiste Magui Diop qui enregistre en studio des punchlines accusatrices. L’amorce du film déroute un peu, au risque de nous faire décrocher. Mais on aurait tort. Le mélange d’enquête historique et de work in progress musical et théâtral fonctionne plutôt bien, et on peut mesurer la qualité du dialogue noué avec l’historien Martin Mourre. Spécialiste de la mémoire historique au Sénégal, il canalise la rage de comprendre des jeunes créateurs en leur fournissant un cadre conceptuel.

Parfois, Mourre recueille en solo le témoignage d’un ancien combattant, corps usé mais voix insoumise. Le reste du temps, le prof et ses « étudiants » interprètent de concert ce que disent ou dissimulent les archives. « Répression sanglante » ; « mensonge d’État » ; « crime de masse »… Chaque expression est pesée au gramme près. Sans conclusion hâtive mais avec tout de même l’intuition que les morts pourraient se compter en centaines plutôt qu’en dizaines. Le député sénégalais Dialo Diop, qui se bat pour que les fosses communes soient exhumées, en est sûr : la réponse viendra, « ce n’est qu’une question de temps ».